Mémoires professionnels de Jean Parenteau (1905-2000)

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IV – Les Commissions du Plan Comptable

Vers 1935, parmi les entreprises adhérentes à la CEGOS qui suivaient nos travaux et parfois y participaient, il y avait une société de transformation de papier, la maison GAUT et BLANCAN dirigée par un ancien polytechnicien, Jean COUTROT. Celui-ci, grand blessé de la guerre 1914-1918, faisait preuve, malgré son infirmité, d’une très grande activité. La guerre, ayant fait disparaitre une partie importante de l’élite française, il essayait de rassembler les gens qu’il appréciait, en leur faisant discuter en commun les nombreux problèmes qui se pesaient à l’économie française, mais sur un plan plus politique que pragmatique. C’est ainsi que lors de la crise économique mondiale qui suivit le Krach américain de 1929 et qui frappa l’Europe à partir de I93I, i1 créa un groupe d’anciens X qui fit beaucoup parler à ce moment: X-Crise. Ce groupe fut très critiqué car réservé aux anciens X. On parla de société secrète et pendant la guerre de 1939-45 on l’accusa d’avoir fait renaître la synarchie, héritière lointaine des alchimistes de la Renaissance. Je suis convaincu que tout cela était pure invention née dans l’esprit de jaloux. Il s’agissait surtout de hauts fonctionnaires, de chefs d’entreprises et de cadres supérieurs qui travaillaient à sortir la France de la crise économique et, pour que le travail soit efficace, ils ne faisaient aucune publicité et ne voulaient pas confier leurs travaux à la presse qui les aurait sûrement déformés.

COUTROT suivait les travaux de la CEGOS qui œuvrait dans le même sens que lui, mais dans un domaine plus concret et, comme il n’en était pas l’animateur et qu’il était de tendance plutôt dirigiste, il chercha à créer quelque, chose d’analogue mais non limité au milieu patronal.

Il existait un autre organisme qui s’occupait d’organisation en France, et dont COUTROT avait été un des fondateurs ou du moins un animateur, le CNOF: Comité National d’Organisation Française, mais cet organisme s’occupait surtout d’enseignement, et ses membre recrutés dans tous les milieux, n’étaient pas sur le tas comme nous à la CEGOS .

Le gouvernement de FRONT POPULAIRE issu des élections de 1936 fut le premier gouvernement à avoir un ministère de l’Economie Nationale; le titulaire en était SPINASSE que COUTROT connaissait. Celui-ci crut le moment venu de créer un organisme d’Etat où figureraient des représentants des Administrations intéressées, de la Caisse des Marchés de l’Etat, des organisations syndicales patronales et ouvrières.

C’est ainsi que naquit le COST: Centre d’organisation scientifique du travail, dont COUTROT était Président. En dehors des personnalités désignées par les ministères, les administrations et les syndicats, il s’était réservé, dans le décret de création, la possibilité de désigner lui-même un certain nombre de membres, en fonction de leur compétence ou de leur position par rapport aux problèmes confiés au COSI’. C’est ainsi que le COST ayant reçu la mission d’étudier les répercussions de la loi de 40 heures sur les prix de revient, COUTROT me demanda de participer aux travaux du Centre. J’acceptais, par curiosité surtout et, lors de la première séance, je me trouvais à côté du représentant de la CGT.

Plusieurs séances furent consacrées à cette question et je finis par prouver qu’à échéance, l’application de la loi de 40 heures conduirait fatalement à une hausse des prix de 20 % s’il n’y avait pas, en contrepartie, une augmentation de rendement de la main d’œuvre. En effet, l’ancienne durée du travail était de 48 heures par semaine. À salaire hebdomadaire égal, cela faisait une réduction de production de (48-40)/40 = 20 % sauf augmentation de rendement et probablement, de fatigue. La CGT opposait à cette conclusion le raisonnement suivant: « en moyenne, la part main d’œuvre dans un prix de revient est de 40 %, la loi aboutit à une hausse des salaires de 20 %, or 20 % de 40 % = 8 %. Elle partait du principe que seule la main d’œuvre devait être prise en compte. Il lui fallut cependant admettre que les appointements au mois devaient aussi être pris en compte, sinon ce serait admettre que les employés devaient faire en 40 heures le travail de 48. Et la main d’œuvre indirecte d’entretien, de manutention….Et les fournitures acquises à l’extérieur ne sont- elles pas composées de main d’œuvre, et le matériel…tout devait être pris en compte sauf ce qui venait de l’étranger mais dans ce cas un autre facteur de hausse intervenait, la dévaluation. Ce que l’on pouvait admettre c’est que la répercussion dans les prix de ces facteurs de hausse n’était pas instantanée pour tous. À la fin le représentant de la CGT conclut « si on avait su on aurait agi moins brutalement ».

Le COST fonctionna très irrégulièrement au cours des années 1937 et suivantes, mais le résultat le plus tangible fut la création de contacts entre la Caisse des Marchés et ses fournisseurs; tous eurent une meilleure connaissance des méthodes de calcul des coûts et cherchèrent à les appliquer dans leurs rapports, soit pour l’établissement des devis, soit pour le contrôle après réalisation.

Par le COST je fis connaissance du Président de l’ordre des Experts-comptables Mr. CAUJOLLE qui organisait un Congrès international de comptabilité à Paris. Il me demanda de participer à une commission de comptabilité industrielle et j’assistais ainsi à quelques séances du Congrès notamment à une sur l’intérêt que présenterait un plan de comptes commun à toutes les entreprises. Je me rendis, alors, compte qu’avant de faire un plan de comptes normalisé il fallait que tous les comptables donnent le même sens aux mots.

A ce moment la situation internationale était très inquiétante. On apprit que HITLER avait demandé à GOERING de faire étudier un plan comptable en vue de l’imposer à toutes les entreprises du Reich. Le travail fut rapidement exécuté et la CEGOS put se procurer un exemplaire de ce plan et le faire traduire. On l’étudia à fond car il semblait bien conçu.

Les évènements se précipitèrent. Après l’Anschluss ce fut l’invasion de la Tchécoslovaquie, l’alerte de 1938, l’invasion de la Pologne, la déclaration de guerre, les premiers mois de la « drôle de guerre » et enfin mai 1940 et la débâcle.

Pendant cette période, je revis COUTROT plusieurs fois et lui fit part de nos études sur le plan Goering qui permettait à l’Etat de contrôler les entreprises, ce qui pouvait, dans certains cas, présenter des inconvénients.

Après l’armistice de juin 1940, il se produisit un grand vide dans l’administration, surtout parmi les hauts fonctionnaires: les israélites prirent le large, une partie des autres partirent en zone libre ou à l’étranger, surtout aux USA. Les divers organismes animés par COUTROT constituèrent une réserve dans laquelle le gouvernement put puiser après qu’il eut adapté la forme de l’Administration aux conditions d’armistice.

Je ne revis COUTROT qu’au début de 1941. Un jour, il me dit qu’il savait de source sûre que les Allemands voulaient imposer le plan Goering aux entreprises qui devaient, d’après les conditions d’armistice, travailler pour l’armée allemande afin de pouvoir en faciliter le contrôle. Comme il était absolument impossible d’empêcher un tel contrôle, que pouvait-on faire pour gagner du temps? Il pensa que la proposition qui avait le plus de chances d’aboutir était de créer une commission chargée d’élaborer un plan comptable pour l’industrie française en s’inspirant du plan Goering mais en en modifiant certaines dispositions pour tenir compte des Comités d’organisation. On ferait valoir aussi que les entreprises françaises n’étaient pas habituées à la terminologie et au classement du plan allemand. Cela ferait gagner du temps. Pour que l’autorité occupante accepte la proposition, on nommerait, pour diriger la commission, un secrétaire général dont les opinions passaient pour être favorables aux Allemands, mais qui ne serait pas un technicien de la comptabilité puis on ferait entrer des comptables professionnels qui se chargeraient, tout en conservant les principes généraux, d’introduire les règles juridiques françaises assez complexes pour que la mise au point soit longue. On pourrait ainsi gagner au moins un an.

Puis, il faudrait que les Comités d’organisation professionnelle adaptent le plan général à leur profession, que ces plans soient acceptés et rendus obligatoires. Pour cela, il faudrait encore au moins un an et la première année d’application ne pourrait être considérée comme valable en raison des erreurs possibles d’interprétation. Il y avait donc de fortes chances qu’avant la mise en mute définitive la situation internationale rendrait caducs les travaux de la commission.

Tout se passa comme prévu. Le décret créant la Commission de Normalisation des comptabilités fut pris le 22 avril I941. COUTROT en était le vice-président au titre du COST qui existait toujours. Le directeur des affaires économiques au Ministère des Finances, CHEZLEPRETRE, en était le secrétaire général; d’ailleurs, dans la suite la cornmission porta son nom. Ses deux adjoints, POUJOL et MARTIN, inspecteurs des Contributions directes, qui ne partageaient pas les opinions politiques de leur directeur, mais qui avaient une grande expérience des entreprises étaient tout désignés pour être les membres actifs de la commission. Je reçus une lettre officielle de COUTROT me désignant comme représentant le COST et me convoquant à une réunion de contact dans la petite salle à manger du Ministre des Finances le 15 mai 1941 à 10 heures.

Je fis connaissance de POUJOL et de MARTIN et il fut décidé que nous établirions tous les trois, le programme des réunions et les bases des discussions.

Le 19 mai 1941, soit quatre jours après la réunion, Jean COUTROT était trouvé mort sur le trottoir de son domicile, 51 rue Raynouard. Le certificat de décès indique 78 rue de la Convention ( Hopital Boucicaut ) où il avait été transporté à 5h30.

Il était tombé du 5ème étage où il demeurait. Sa mort fut tenue secrète pendant plusieurs mois, puis parurent des articles assez virulents contre lui, l’accusant d’avoir fondé la synarchie, d’avoir contribué à saper le ministère LAVAL, d’avoir provoqué l’arrivée de DARLAN et de PUCHEU. Plus tard, on l’accusa même d’avoir saboté le ministère SPINASSE en 1937. Il se serait suicidé car une liste des membres de la synarchie aurait été communiquée au gouvernement par un membre de son secrétariat. Cette thèse fut, à l’époque, la plus accréditée, mais le suicide arrangeait bien des choses. Je crois plutôt à l’accident stupide: son balcon était très bas et sa vue baissait depuis quelque temps. Le 15 mai je n’avais pas trouvé COUTROT déprimé; au contraire, il faisait des projets pour l’après-guerre et venait de créer avec le docteur Alexis CARREL et Aldous HUXLEY le Centre d’études des problèmes humains et voulait relancer les Entretiens de Pontigny.

D’après un rapport établi en septembre 1941 par un fonctionnaire nommé CHALVIN, il aurait créé un mouvement dit Mouvement Synarchique d’Empire, sorte de société secrète, plus ou moins dérivée de la CAGOULE, organisation d’extrême droite ayant fait beaucoup parler d’elle entre les deux guerres.
J’ai vu la liste du rapport CHAUVIN publiée dans un livre sur la synarchie; j’y ai trouvé des noms de hauts fonctionnaires que j’ai connus à l’époque et je ne les ai jamais entendu parler de ce mouvement. Or ils connaissaient mon opinion sur l’issue certaine de la guerre, mais on était en 1941 et il y avait une fâcheuse tendance à fuir les responsabilités et à en charger le voisin surtout s’il était mort.

Malgré la mort de Jean COUTROT, la Commission de normalisation fonctionna et le plan fut terminé fin 1942, trop tard pour être appliqué en 1943; la situation internationale avait bien changé: il y avait eu Stalingrad, le débarquement allié en Afrique du Nord., l’envahissement par les Allemands de la zone libre et on entrevoyait une fin favorable. Les fournisseurs de l’armée allemande discutaient directement avec leurs clients et cela valait beaucoup mieux, bien que, lors de la Libération, il fallut fournir beaucoup d’explications et que les bénéfices réalisés furent déclarés illicites.

Les choses trainèrent en longueur. Le ministre des Finances mit le plan sous le coude et on n’en parla plus. CHEZLEPRETRE le fit néanmoins éditer chez Delmas à Bordeaux en 1943. Il eut un certain succès car la rédaction était assez claire et cela démystifiait la comptabilité généralement présentée jusqu’alors sous une forme telle que seuls les initiés et les juristes pouvaient s’y retrouver. La méthode de calcul des prix de revient retenue dans le plan était la méthode dite des « sections homogènes » et de nombreux adhérents de la CEGOS se procurèrent le plan pour en discuter avec leurs comptables.

Après la Libération, le plan comptable de 1942 fut mis de côté. CHEZLEPRETRE, accusé de collaboration se retrouva en prison avec d’autres collaborateurs vrais ou faux mais cela ne dura pas et l’ordre revint assez rapidement.

Cependant, les besoins qui s’étaient manifestés entre les deux guerres existaient toujours et la nécessité d’un plan comptable s’imposait. Celui de 1942 étant considéré comme nul il fallait recommencer le travail.

Le 4 avril 1946, un décret du ministre des Finances créa une nouvelle commission de normalisation des comptabilités composée de 25 membres dont 1/3 représentait les ministères intéressés, 1/3 les syndicats et organismes professionnels; il y avait six techniciens de la comptabilité et trois membres nommés directement, mais la commission avait le droit d’appeler en son sein ou en consultation d’autres personnalités: elle en appela 39, la plupart en simple consultation.

Telle qu’elle était prévue à l’origine, la Commission n’avait pas beaucoup de chances d’aboutir en matière de comptabilité industrielle (on disait aussi analytique), les techniciens de la comptabilité étant des professeurs ayant peu de contacts avec les entreprises. C’est pourquoil dès octobre 1946, aussitôt la période des vacances, plusieurs spécialistes furent contactés et je reçus une lettre de POUJOL me demandant de participer aux travaux de la Commission à titre de délégué par le président de l’Ordre des Experts-comptables, Mr. LEMOINE, qui quelques mois auparavant avait tranché le différend entre Yves FARGE et moi au sujet de la collaboration d’Ugine et de ses dirigeants.(voir III).

Nous nous retrouvions tous les trois: POUJOL, MARTIN et moi, seuls membres de la commission de 1942 repris dans la nouvelle commission.

Bien que le plan de 1942 était considéré par la plupart des membres de la nouvelle commission comme à rejeter en bloc, il est évident que ce fut lui qui servit de base de départ pour l’élaboration du nouveau plan et cela permit d’aller assez vite. Moins d’un an après la composition définitive de la commission, le plan1947 était approuvé par un arrêté du Ministre de l’Économie Nationale du I8 septembre 1947.

La méthode de calcul des coûts ne différait pas entre les deux plans, mais l’enregistrement comptable n’était pas le même: dans le plan 1942, les comptes de la comptabilité analytique étaient répartis en trois classes et intégrés dans la comptabilité générale; dans le plan 1947 il y avait une seule classe autonome , sans lien avec les autres classes du plan: la correspondance se faisait par le jeu de comptes dédoublés. Cette solution permettait de tenir la comptabilité analytique indépendamment de la comptabilité générale et par des moyens différents en matériel et en personnel; elle avait été retenue car quelques expériences d’application du plan de 1942 avaient fait apparaître l’intérêt de cette séparation.

Néanmoins, sur le fond, à part quelques modifications de détail il y avait une grande différence sur le contenu des charges à inclure dans les prix de revient.
le fonds de renouvellement des immobilisations était moins réglementé dans le nouveau plan.
les charges financières étaient à peine évoquées dans le nouveau plan. Enfin le plan 1947 mettait l’accent plus sur le caractère juridique de la comptabilité que sur son aspect économique.

Il faut dire que le plan 1942 avait tendance à gonfler les coûts de façon à faire payer à l’occupant des prix plus élevés, permettant aux entreprises de sauvegarder leur potentiel en vue de la reprise future. En 1947, il n’y avait plus d’occupant; mais il fallait reconstruire et on ne voulait pas donner un avantage particulier aux entreprises qui avaient été épargnées.

Le Plan homologué fut largement diffusé et utilisé dans l’enseignement. A cette époque je faisais des cours d’initiation comptable à SUPAERO depuis 1945.
Les Charbonnages de France, créés à la suite de la nationalisation des Houillères en 1946, me demandèrent de faire des conférences d’initiation comptable à leurs directeurs et ingénieurs de bassin. Puis, lorsque parut le plan 1947, ils me chargèrent avec Mr. BAYLE, directeur de la comptabilité du bassin du Nord-Pas de Calais, qui avait été appelé en consultation par la Commission de normalisation, d’établir le plan professionnel de l’ensemble des Houillères. En même temps, ils me demandèrent d’être leur expert au sein d’une commission dite de l’article 12, qui était chargée d’évaluer les indemnités à verser aux houillères non cotées en Bourse. À cette commission, l’expert des sociétés nationalisées était un ingénieur général des Mines, Mr. ETIENNE, qui avait été 20 ans plus tôt mon professeur de chimie industrielle. En dehors de nous deux, il y avait un autre corpsard des Mines Mr. DAVAL, représentant le ministère de l’industrie. Le président était un conseiller-maitre de la Cour des Comptes. Cette expertise qui concernait une centaine d’entreprises dura environ deux ans et aboutit à un accord qui mécontenta les deux parties. Les sociétés déposèrent presque toutes une plainte auprès du ministre et les Charbonnages de France en firent autant. Le ministre les renvoya dos à dos mais personne ne demanda une contre-expertise, ce qui prouve que nos estimations n’étaient pas si mauvaises.

Pour dresser le Plan comptable des Charbonnages, même avec l’aide de BAYLE, il me fallait aussi la coopération volontaire des services des bassins, d’autant plus que le bassin du Nord-Pas de Calais étant de beaucoup le plus important, les autres ne voulaient pas d’un dispositif trop lourd. A l’époque le Nord avait encore environ 200.000 mineurs, soit 50 % du total des mineurs de France.

De plus, le bassin de Lorraine n’en était qu’à ses débuts et avait devant lui un bel avenir, alors que le bassin du Nord-pas de Calais sentait venir la fin de ses réserves.

Pour gagner la confiance des intéressés, je décidais d’aller les voir sur place et de faire le tour des bassins en demandant aux Directeurs d’inviter, à l’occasion de ma venue, les principaux ingénieurs et les chefs de comptabilité à un repas en commun très simple, afin de briser la glace qui séparait les techniciens des comptables. Au cours du dîner, je leur dis que je n’avais ni l’intention, ni le temps d’entrer dans des détails qu’eux connaissaient mieux que moi, que je n’étais là que pour recueillir leurs remarques sur le plan comptable officiel, et voir, à l’aide de leurs réflexions, les aménagements à prévoir. J’obtins un accord général de coopération: dans chaque bassin les ingénieurs dresseraient la liste des sections en fonction des possibilités de répartition logique des charges; ils choisiraient les unités d’œuvre. Quant aux comptables, ils acceptèrent de partir, comme base, d’un modèle établi par le bassin d’Aquitaine dont le chef comptable avait suivi les travaux de la CEGOS. En fait le modèle fut adopté partout sans changement sauf en Lorraine où il fallut aller un peu plus loin dans l’analyse. De son côté BAYLE s’occupa intégralement du plan pour le Nord-Pas de Calais et je n’eus pas besoin d’y aller.

Le travail fut rapidement mené et le plan des Charbonnages fut le premier présenté à l’homologation du Conseil Supérieur de la Comptabilité qui venait d’être créé en remplacement de la Commission de normalisation de 1946, celle-ci ayant rempli sa mission. En fait, ce Conseil était composé des mêmes personnes que la commission qui l’avait précédé, sauf les représentants des ministères ou des administrations qui changeaient assez souvent, et, en conséquence, intervenaient rarement dans les discussions.

D’autres plans suivirent et furent homologués avec quelques dérogations; la plupart concernaient uniquement la comptabilité, générale, mais je fus souvent appelé pour donner mon avis sur des projets de méthodes de calcul acceptées par la profession, mais celle-ci ne voulait pas rendre obligatoire l’enregistrement comptable. La séparation des deux comptabilités présentait pour cela un avantage supplémentaire.

Il ne faut cependant pas croire que le Plan I947 fut accepté par tous. Il y eut, de la part de certains professionnels ou théoriciens de la comptabilité de nombreux articles critiquant telle ou telle disposition du plan1947 et surtout la rédaction jugée trop hermétique, trop type « Journal Officiel ». En comptabilité analytique les plus violentes critiques émanaient des partisans du coût direct. D’après eux, seules les charges variant proportionnellement à la production, pouvant être connues avec exactitude, devaient être prises en considération. Cette théorie, très en vogue aux USA avant la crise de I929, avait aggravée celle-ci: en effet les services commerciaux avaient tendance à considérer que s’ils vendaient au-dessus du coût direct, ils étaient en bénéfice puisqu’ils couvraient une partie des frais communs. Mais les concurrents qui raisonnaient de la même manière, ramenaient progressivement leurs prix de vente de plus en plus près du coût direct et finalement aucune entreprise ne couvrait les frais communs d’où pertes et faillites.
Aussi cette objection ne fut pas retenue: et si, dans la dernière révision qui vient d’être terminée et homologuée en juin 1980, on parle de la, méthode des coûts directs parmi les autres méthodes que la gestion de l’entreprise utilise, dans certains cas, on en montre les dangers lors d’une application systématique, car le coût direct n’est pas le vrai coût de revient.
Les années passèrent. MARTIN mourut vers 1950-1952. Le président Francis CLOSON (un des commissaires de la République de 1945) me demanda de prendre la présidence de la 3ème section du Conseil que présidait MARTIN et d’être le rapporteur des plans de comptabilité analytique qui seraient présentés par des organisations professionnelles.

En 1956 on entreprit une révision du plan 1947 pour tenir compte des remarques ou critiques qui avaient été faites et qui avaient été retenues dans des plans homologués sous forme de dérogations. En ce qui concerne la comptabilité analytique, ma section modifia la présentation, on s’efforça d’être plus clair pour intéresser non seulement les comptables mais aussi les techniciens et les chefs d’entreprises. Aucun problème nouveau ne s’étant présenté, on ne voulait pas gêner les applications faites ou en cours, on ne changea rien d’autre.

Puis le Marché Commun s’étendant, la commission européenne de Bruxelles intervint dans le droit des sociétés. La comptabilité dût tenir compte de ces exigences et il fut décidé de faire une nouvelle révision. Celle-ci vient d’être terminée après dix ans de travaux. En fait ce n’est qu’une étape car la doctrine de la Commission Européenne n’est pas au point, mais il fallait bien s’arrêter à un moment quelconque pour faire le point, quitte à recommencer en cas de besoin. Mais cela ne concerne que la comptabilité générale et est une nouvelle preuve de l’intérêt qu’il y a à séparer les deux comptabilités.

En comptabilité analytique, la révision est simplement une nouvelle rédaction qui tient compte de l’évolution des techniques de contrôle de gestion et de contrôle budgétaire. Elle tient compte aussi de l’arrivée de l’informatique qui rend possible ce qui ne l’était pas autrefois par suite d’un nombre trop élevé de calculs.

Orientée vers la gestion, la comptabilité analytique se devait de ne pas se limiter au calcul des coûts. Elle est restée fidèle au principe que le coût de revient est le montant de tout ce qu’a coûté l’objet du calcul que ce soit directement ou indirectement. Elle admet l’arbitraire de certaines répartitions de charges mais montre comment on peut en réduire l’importance.

Mais elle admet aussi que la méthode d’analyse constituant la base même du plan, permet le calcul simultané de plusieurs formes de coûts utilisables dans des conditions déterminées.
Je n’ai qu’un regret, c’est de n’avoir pu faire admettre la prise en charge, dans le calcul des coûts, des charges financières entrainées par les capitaux investis dans l’entreprise à la place de l’intérêt des capitaux empruntés. Dans la pratique, cela revient à tenir compte de l’utilisation des moyens de production représentés par les postes d’actif, sur lesquels serait appliqué un taux d’intérêt, quelle que soit l’origine des capitaux.

Une telle mesure qui avait été retenue dans le plan de 1942, aurait probablement pour effet, sauf dans le cas d’inflation galopante, de favoriser le développement des fonds propres et de réduire l’endettement.

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