Mémoires professionnels de Jean Parenteau (1905-2000)

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V – ENSEIGNEMENT

S’il y a quelque chose qui m’a toujours déplu, c’est prendre la parole en public, aussi lors des premiers cycles organisés par la CEGOS, MILHAUD, TINAYRE et HUA étaient les conférenciers habituels. Un jour, accompagnant A. DETŒUF à Toulouse, j’ai dû, après lui qui était un orateur plein de finesse, d’humour et de bon sens, prendre la parole pour expliquer les travaux de la section Finances de la CEGOS. Je fus obligé de m’exécuter et réussit à ne pas trop bafouiller. Puis, après l’exposé, j’ai dû répondre à un feu roulant de questions qui ne s’est arrêté qu’à l’heure sacro-sainte de l’apéritif.

Cela m’a donné confiance, car les questions me prouvaient que l’on avait compris ce que j’avais exposé, donc que j’avais été assez clair. DETŒUF lui-même m’encouragea à recommencer dès que l’occasion se représenterait.

Néanmoins je n’intervenais en public que très rarement car mon rôle consistait surtout à animer des séances de travail en petits comités.

Ce n’est qu’après la parution des plans comptables que j’eus à intervenir, surtout pendant et après la guerre de 1939-1945. Je ne me souviens plus exactement à quelles dates se sont placés certains des cours que j’ai été amené à faire.

L’Administration des Contributions directes a demandé à la CEGOS de donner quelques leçons à l’Ecole de formation des contrôleurs pour leur exposer en détail la méthode de calcul des coûts que nous avions préconisée et qui avait été retenue dans le plan de 1942. Ce fut ma première intervention, mais je ne saurais dire si elle se situa aussitôt la parution du plan 1942, ou après la guerre lors de l’établissement du régime de contrôle des prix.

Quand je suis arrivé à la CEGOS en 1933, la comptabilité était considérée à peu près partout comme un mal nécessaire imposé par le code de Commerce pour mettre en évidence les créances et les dettes de l’entreprise. Le comptable utilisait un langage rébarbatif et, pour lui, la notion de temps n’existait pas; seule comptait l’exactitude des balances. Le procédé généralement utilisé par les comptables était le même depuis plus de 300 ans, le procédé dit « à parties doubles* et on ne pouvait même pas utiliser de machines sans être en faute vis-à-vis du Code de Commerce. Tout était dominé par la hantise des fraudes. Enfin, depuis la guerre de 1914, le comptable ne devait plus être seulement un juriste, mais aussi un expert fiscal, car était apparu l’impôt sur les bénéfices.

Toutes ces considérations faisaient de la comptabilité: un secteur ignoré et même parfois méprisé par la partie dynamique de l’entreprise: patrons, ingénieurs, cadres et ouvriers, en particulier par ceux qui avaient une responsabilité de gestion.

Dans les Ecoles d’Ingénieurs, il y avait parfois un cours de comptabilité mais personne ne s’y intéressait.
Quant aux prix de revient, ils étaient généralement calculés, soit au niveau de l’atelier par son chef qui mesurait certaines valeurs, soit au niveau de la Direction par voie statistique. Dans l’un et l’autre cas il n’y avait aucun contrôle, même global. On retenait les dépenses de matières premières et de main d’œuvre et on ajoutait un forfait pour les frais généraux, forfait parfois considérable car je me souviens, dans une affaire de construction mécanique, d’un forfait de 12 fois le montant de la main d’œuvre.

La crise mondiale qui suivit les jours noirs de 1929 aux USA entraîna une concurrence effrénée qui provoqua la ruine des entreprises ayant moins de réserves que les autres, et les plus solides se rendaient compte que cette concurrence serait meurtrière pour tous si on ne parvenait pas à réduire l’arbitraire de la répartition des frais généraux et surtout si on ne s’assurait pas par un contrôle sérieux, que les prix calculés tenaient compte de tous les frais. C’est pourquoi les travaux de la CEGOS, lors des années trente eurent tant de succès, bien qu’avec 50 ans de recul, ils paraissent actuellement assez simplistes.

Quelques ingénieurs-conseils, qui jusqu’alors se contentaient d’appliquer les principes de Taylor et de Fayol à la conduite des ateliers, se rendirent compte que l’application de la méthode comptable « à parties doubles » au calcul des prix de revient, permettait de s’assurer de la prise en charge de tous les frais, grâce au contrôle interne de cette méthode. L’analyse plus poussée que préconisait la CEGOS dans sa méthode de répartition des frais par sections homogènes permettait de réduire l’arbitraire de répartition des frais généraux en classant la plus grande partie de ceux-ci en sections correspondant à des ateliers ou services fournissant des œuvres homogènes.
Les années passèrent avec l’arrivée du Front Populaire, puis la guerre de 1939, et les entreprises prirent de plus en plus conscience de l’intérêt que présentait la connaissance des prix de revient les plus exacts possibles, afin de mettre au point de nouveaux articles au lieu de baisser les prix d’articles déjà trop concurrencés.

C’est pourquoi, lors de la parution en 1943 du plan comptable dit de 1942, il y eut un intérêt très vif pour ce plan surtout de la part des chefs d’entreprises et de leurs cadres principaux. Mais la période de pénurie qui commença en 1940, rendit le problème moins aigu pour la survie des entreprises et le problème le plus immédiat fut la fixation des prix de vente par la Direction des Prix.

Quand la reconstruction des usines détruites par la guerre fut suffisamment avancée et que la pénurie des matières devint moins exigeante, on recommença à s’intéresser au calcul des coûts.

Déjà en 1945, l’Ecole Nationale Supérieure de l’Aéronautique dirigée par l’Inspecteur général de VALROGER, créa un cours de comptabilité dans l’industrie qui laisserait de côté l’aspect » « juridique et fiscal » et insisterait sur l’aspect « instrument de gestion ». Je fus chargé de faire ce cours pendant une dizaine d’années jusqu’à ce que fut décidé le déménagement de l’Ecole à Toulouse. J’avais à faire à SUPAERO dix cours par an.

En 1947, dès la sortie du plan comptable établi par la commission de 1946, dite de normalisation des comptabilités, les Charbonnages de France me demandèrent de faire des cours d’initiation à la comptabilité de gestion (études de bilans et comptes d’exploitation, prix de revient…) à leurs Directeurs et ingénieurs en chef de bassins. Ces cours préparèrent mon intervention pour l’établissement du plan comptable des HOUILLÈRES.

L’Ecole Nationale Supérieure des Mines dont le directeur était Mr. FISCHESSER, s’intéressa aussi au problème et me demanda de faire le même cours que je faisais à SUPAÈRO. Je le fis jusqu’en 1967. J’étais un des rares professeurs qui ne faisaient pas partie du Corps des Mines. Mais, dès 1945, RIVELINE, jeune corpsard, voulut que j’introduise dans ce cours plus de raisonnement mathématique et de calcul, notamment en ce qui concernait la rentabilité des investissements. Je-pensais que si je le suivais dans cette voie je serais entraîné trop loin par des corpsards de plus en plus nombreux et d’autre part je n’en voyais pas l’intérêt, car, en matière de gestion, la rapidité de décision vaut mieux que la précision des calculs souvent mis en échec par des évènements.

Je résistais jusqu’en 1967; puis, étant très pris par les évènements qui se passaient à la MFTC, je donnais ma démission. Je crois que j’ai bien fait, car les évènements de mai 1968 ont été cause de nombreux troubles à l’intérieur de l’Ecole et j’étais très heureux d’y échapper.

Ainsi se termina ma modeste contribution à l’enseignement. Je crois qu’à l’heure actuelle, la comptabilité analytique a acquis la place qui lui revenait dans la gestion des entreprises, et que le fossé qui séparait autrefois les techniciens des comptables est en train de se combler. Si j’ai pu y être pour quelque chose, tant mieux.


 

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